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par Raff de HGuitare

La (petite) histoire du Rock #2 : La British Invasion


 

Dans cette série d'articles consacrés aux différents styles du rock, je me suis fixé pour mission de vous fournir toutes les clefs en main pour devenir incollable sur le sujet !


La dernière fois, nous avons étudié le rock'n'roll des pionniers. Intéressons nous aujourd'hui à leurs héritiers surdoués, les petits anglais maigrichons et palichons de la British Invasion !

 

 

 

LA BRITISH INVASION, UNE HISTOIRE DE COUPE PETIT PAGE ET DE BOTTINES ITALIENNES



Au début des années 60, le rock'n'roll originel a presque entièrement été balayé par une série d'événements malheureux...
Le monde est envahi de musique surf, de twist et de chansons de variété légères.
Alors que la situation parait quelque peu désespérante, le salut va venir d'un endroit improbable : l'Angleterre !


Ce pays, alors en pleine reconstruction après les destructions de la Seconde Guerre Mondiale, est toujours soumis à un rationnement draconien et n'est pas exactement réputé pour sa fantaisie... C'est pourtant bien de la Perfide Albion que le rock prépare son retour en fanfare - et quel grand retour !

En effet, depuis le début de la décennie, une génération entière de jeunes gens nés sous les bombardements du Blitz se passionne pour tout ce qui a trait à l'Amérique (culture, cinéma et surtout musique). On retrouve la plupart de ces adolescent dans les écoles d'art, à Londres, Manchester, Leeds ou Liverpool.


Pendant la récré, des amitiés naissent et des groupes se forment : tout d'abord des groupes de skiffle, une sorte de musique folk ultra-minimaliste jouée avec les moyens du bord (guitares à deux sous, planches à laver et même manche à balais !), puis des groupes électrifiés à part entière.


La plupart de ces jeunes musiciens revendiquent un fort attachement à la musique américaine, en particulier celle des afro-américains : le blues (Muddy Waters, Howlin' Wolf), le rhythm&blues (Bo Diddley, Otis Redding), la soul (The Supremes, The Temptations, The Four Tops) et bien sur le rock'n'roll (Chuck Berry, Buddy Holly, Elvis Presley).



Pour faire comme leurs idoles, tous ces apprentis-rockeurs n'hésitent pas à se produire intensivement dans des petits clubs miteux, ce qui finira par donner naissance à une scène musicale à part entière.

A partir de 1963, on assiste à un déferlement massif de groupes anglais sur le marché : The Beatles, The Rolling Stones, The Who, The Kinks, The Yardbirds, The Pretty Things, The Animals, The Small Faces, The Zombies, The Spencer David Group, The Dave Clark Five, Gerry & The Pacemakers, The Troggs, Them, Manfred Mann, etc...


Les journalistes vont bientôt parler d'une "British Invasion" !


Tous ces groupes ont la particularité de jouer une musique rythmée et bruyante mais pourtant très mélodique, qui finira par être désignée sous l'appelation "Beat music" ("musique rythmée" en anglais, faute de pouvoir trouver un terme plus adéquat).


Ils se distinguent par des coupes de cheveux "petit page" jugées longues pour l'époque (cela fait sourire à présent !), un goût certain pour le dandysme (belles sapes, bottines italiennes), et surtout une attitude provocante et chauvine typiquement anglaise !


A partir de 1964, deux groupes en particulier tirent leur épingle du jeu : les Rolling Stones, et surtout les Beatles.
Ces derniers provoquent une véritable hystérie à chacun de leurs passages scéniques : jeunes filles en pleurs, sièges cassés, semi émeutes... Leur impact sur la jeunesse est colossal, à tel point qu'on parle de Beatlesmania !

 

 

 


Tout comme en Amérique avec le rock'n'roll originel, la British Invasion permet aux adolescents d'exister. Ils prennent conscience de former un groupe sociologique distinct, avec des aspirations en totale opposition avec celles de l'ancienne génération.


Le British beat pose également les jalons du rock moderne, tel qu'on le conçoit encore de nos jours : il fournit les premiers musiciens démonstratifs (guitar-heros, batteurs virtuoses...), les premières rockstars au sens actuel du terme, et aussi les premiers véritables compositeurs de rock.


La Beat Music domine le monde jusqu'en 1967, date à laquelle elle décline et devient obsolète... Le mouvement hippie atteint alors son point culminent lors du festival de Monterey, et l'Angleterre vibre désormais au rythme coloré du Swingin' London. La plupart des groupes de la British Invasion vont adopter un look et un son psychédélique pour rester dans le vent.

 


Leur œuvre a continué néanmoins à exercer une influence énorme sur la plupart des styles de rock à venir : le garage rock (des groupes américains qui veulent imiter des anglais qui jouent de la musique américaine, vous suivez ?

 

The Sonics, The Seeds, The Chocolate Watchband, The Standells, The Kingsmen, The Electric Prunes, Count Five, Paul Revere & The Raiders...), le proto-punk (The Stooges, MC5, New York Dolls...), le glam rock (David Bowie, T-Rex...), le hard rock (Led Zeppelin, Black Sabbath...), le rock progressif (Pink Floyd), la britpop (Oasis, Blur...), jusqu'aux groupes des années 2000 (Franz Ferdinand, Artic Monkeys...).

Ces myriades de musiciens ont tous en commun de devoir quelque chose à la première vague du rock anglais !

 


Et n'oublions pas que beaucoup d'artistes de la British Invasion continuent à se produire régulièrement sur scène en 2017 : Paul McCartney, Ray Davies, les Rolling Stones, les Who, les Pretty Things... Leur longévité laisse rêveur !

 

 

 

 

 

 

UN RAPIDE REGARD SOUS LE CAPOT



Intéressons-nous à présent aux particularités de la Beat music.

Première constatation, ce style est résolument rythmique (ce n'est pas vraiment une surprise, vu son nom !).


Il reprend les choses là où le rock'n'roll les avaient laissées, mais en y ajoutant un petit quelque chose en plus. Par exemple, les groupes de la British Invasion n'hésitent pas à marquer tous les temps de la mesure, à la manière des soulmen de la Motown.

 


Ce qui donne :

 

 

UN - DEUX - TROIS - QUATRE au lieu de UN - deux - TROIS - quatre...

 

 


Ils ont également fréquemment recours à toutes sortes de percussions (tambourins, shakers, maracas), ce qui contribue à donner un groove très particulier à leurs morceaux.

Sur le plan harmonique, on dépasse très largement le cadre rigide des 3 accords de base du rock'n'roll traditionnel.


Les artistes de la Beat music utilisent librement tous les accords disponibles dans la tonalité (majeurs et mineurs), et parfois même des accords extérieurs à la tonalité !
Ils sont très habiles pour utiliser des cadences, des modulations et des enchainements d'accords sophistiqués. On pense en particulier à l'enchainement d'accord Majeur/mineur, un grand classique du genre, qui créé un flou harmonique très intéressant.

 


Ex : A Maj - A min - A Maj - A min...

 

 


D'autre part, les accords sont jouées de manière moins monolitique que dans le rock'n'roll : les guitaristes n'hésitent pas à utiliser un jeu rythmique syncopé, ou en question/réponse à deux guitares.


D'une manière générale, les artistes de la British Invasion savent créer des mélodies et des accompagnements très accrocheurs, qui restent en tête. Ce n'est pas un hasard si la plupart des chansons de ce style sont encore considérés de nos jours comme des classiques intemporels !

 

 

 

 

 

 

 

 

LE GROUPE TYPE ET TYPÉ BRITISH INVASION


A présent, nous tentons de réaliser un pastiche convaincant de Beat music !
Pour cela, vous allez devoir consulter votre carnet d'adresse et appeler vos amis musiciens. Il vous faudra :

 

 

 

Qui jouera sur un kit épuré, avec une frappe modérée. La batterie est beaucoup plus présente dans la Beat music que dans le rock'n'roll originel, sans pour autant prendre autant de place que dans le rock actuel (à l'exception notable de Keith Moon, le batteur fou des Who !).

 

 

 

Qui fournira une ligne de basse vivace, avec un son bien rond provenant d'un ampli à lampe.

 

 

 

Qui jouera avec vigueur de belles suites d'accords ! Le nec plus ultra serait d'utiliser une guitare 12-cordes acoustique ou une électrique en son clair avec beaucoup d'aigus.


Pour un jeu plus rock, le guitariste pourra glisser par-ci par-là quelques power-chords nerveux. Une guitare Rickenbacker ou Fender Telecaster branchée dans un ampli à lampe Vox AC-30 en son crunch est l'idéal pour ce type de jeu.


Enfin, il sera de bon ton que le guitariste rythmique fournisse des choeurs pour harmoniser la voix du chanteur !

 

 

 

Avec la Beat music, la guitare électrique lead devient reine, et prend une place qu'elle n'avait jamais occupée auparavant. Le guitariste lead sera donc à l'honneur, et pourra se permettre des interventions assez régulières !


Son jeu doit être sec et nerveux (Chuck Berry n'est pas très loin !), avec un son plus saturé que pour le rock'n'roll originel. Il pourra se servir d'une pédale d'overdrive, voire de fuzz (Tone Bender ou Maestro Fuzz-Tone).


Notons que dans certains groupes, le guitariste rythmique et lead sont une seule et même personne : c'est le cas notamment de Pete Townshend, des Who !

 

 

Il existe deux écoles : celle des Beatles et celle des Stones. Dans la première école, le chanteur devra être mignon et sage, et chanter de belles mélodies qui seront harmonisées par un autre musicien du groupe. Dans la seconde école, c'est tout l'inverse : il devra se transformer en petit voyou infréquentable, et chanter d'une voix nasale et gouillarde tout en se déhanchant de manière provoquante ! C'est, on s'en doute, cette seconde école qui a fait le plus d'émules (notamment dans le mouvement garage aux USA) !


Dans la Beat music, il est courant que le chanteur s'occupe les mains avec un instrument de percussion, voire qu'il joue de temps en temps un peu d'harmonica (avec un son légèrement saturé).

 

 

 

 

Joker :

 

 

Qui pourra fournir un accompagnement discret d'inspiration boogie-woogie, ou bien égrenner des notes sur un de ces pianos électriques très en vogue au début des années 60 (Farfisa, Wurlitzer ou Mellotron) : effet vintage garanti !


 

 

 

 

 

 

 

 

ET AU FAIT, ON PARLE DE QUOI DANS LES CHANSONS ?

 

Les groupes de la British Invasion dans le sillage des Beatles ont coutume de chanter sur des thèmes légers, proches de ceux du rock'n'roll et des slows : à savoir les états d'âme adolescents, et en particulier l'amour (encore lui !)


"She Loves You", "I Want To Hold Your Hand"...


Autant de titres gentillets autant destinés à faire chavirer les jeunes filles en fleur qu'à rassurer leurs parents !

 


Ceux qui se sont engouffrés dans la brèche ouverte par les Rolling Stones ont choisi le parti pris inverse : celui d'aborder des thèmes tabous, afin de bousculer la vieille garde !

 


Ils n'hésitent pas à parler de sexe et de drogue, mais aussi de sujets de société (avortement, dépression, suicide...).


"Satisfaction", "Mother's Little Helpers", "19th Nervous Breakdown"...

 


C'est grâce à l'audace de ces derniers que le rock a pu s'extraire de son carcan de musique pour ado un peu simplet, et enfin atteindre sa maturité !

 

 

 

 


Dans le prochain article de cette série sur l'Histoire du Rock, nous nous intéresserons au rock psychédélique, porté par les hippies de Haight-Ashbury ! :)

 

 

 

 

Rédacteur : Sylvain Peter